Deuil d'un deuxième enfant - témoignage

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Adelaïde_B
Deuil d'un deuxième enfant - témoignage

Pas deuxième enfant… Pas de petit être qui poussera dans mon ventre, qui sera à nouveau le fruit de notre amour, de nos singularités mixées en une seule et nouvelle entité.  Pas de Gaston, Oscar, ou Nina…
Tu ne verras jamais le jour, mon enfant désiré.  Toi qui aurait pu compléter mon cœur et notre famille.

 

Adieu cette toute puissance, celle d'avoir la capacité de donner la vie. Cette confiance de passer à travers toutes les étapes de la grossesse, pour arriver au terme et à la naissance d'un nouvel être humain. 
Adieu cette envie d'avoir une un peu plus grande famille que celle que j'ai connu…

 

Pourquoi prendre une décision si difficile, si triste ? Cela a été le fruit d'une longue négociation intérieure.

Mon mari que j'aime énormément ne voulait pas de deuxième enfant. Pour lui, cela a toujours été "zéro ou un".  Une part de moi a toujours rêvé de le faire flancher, et une part de lui a toujours laissé la porte ouverte à "on verra bien, on en discutera".  Au jour d'aujourd'hui, notre fille a 3 ans et demi, et cette porte, de son côté il préfère la refermer. Notre quotidien n'est pas simple, notre fille a un caractère compliqué (très affirmé, très opposant) et cela depuis ses 1,5 ans. Au départ, on nous a dit que c'était le "terrible two".. Puis le "threenager".  Honnêtement, je me demande quand cela va s'arrêter. Les moments calmes sont rares, et même en installant des routines, les guerres sont fréquentes. Quoi qu'on fasse, nous n'arrivons pas à faire baisser ces crises (rassurer, négociation, fermeté voir même lui crier dessus…). Ce quotidien nous épuise, en plus de deux boulots prenants et parfois stressants. Nous sommes, qui plus est, deux anxieux, et moi une perfectionniste (même si on travaille tous les deux à gérer ces défauts-là, ils reviennent souvent au galop).

Bref, pour en revenir à mon mari, son point de vue était clair. Il ne sera pas plus heureux avec un deuxième enfant, voire même plutôt plus malheureux. Cependant, il m'a dit que si c'était vraiment important pour moi, nous mettrions des choses en place pour avoir ce deuxième petit être. La carte était donc entre mes mains.

 

Alors j'ai analysé une par une toutes mes craintes, car j'en avais énormément. J'ai même réussi à faire baisser la plupart d'entre elles. La gestion du quotidien avec deux enfants (ménage, courses, lessives, repas,…) me paraissait une montagne. Ma solution était de réduire mon temps de travail à 3 jours semaines, ce qui me permettrait de gérer un peu mieux ce stress du quotidien.  Cependant, la perte financière se fera sentir, même avec la petite prime de congé parental (90€ par mois d'indemnité en combinant un 4/5e + un jour de congé parental/semaine, c'est loin de combler les 650€ de perte).  Ceci dit, on pourrait vivre en se serrant la ceinture, cela marcherait, en croisant les doigts pour qu'on n'ait pas trop de pépin. Cela restreindra nos possibilités de vacances, mais de toute façon, nous n'envisageons pas de beaux et grands voyages à l'autre bout du monde avec un petit enfant de moins de 4 ans (c'est notre choix). Ceci dit, nous avons une situation financière particulière. Nous gagnons correctement notre vie (nous ne sommes pas des médecins ou architectes, mais deux fonctionnaires d'état), mais risquons de devoir contracter des dettes dans le cadre de la gestion de deux bâtiments dont nous devons assurer la charge structurelle mais que nous ne pouvons pas vendre ou dont nous ne pouvons pas profiter avant environ une 20aines d'années (sans rentrer plus ici dans les détails, certains auront peut-être compris qu'il s'agit de nue-propriété).
Pour le moment, nous devons rénover notre maison (payer notre prêt, notre prêt travaux), envisager dans 2 ans l'achat d'une nouvelle voiture (normes de roulage bientôt dépassées) et croiser les doigts pour que l'un des bâtiments ne nécessite pas une intervention incontournable qui nous mettrait sur la paille.
En somme, le financier est quand même un tracas, même si nous savons bien que nous ne sommes pas les plus à plaindre. Cependant, au moyen d'une bonne gestion financière et de peu d'achats irréfléchis, on pourrait y arriver. Cela veut dire que je ne pourrais plus craquer sur cette jolie paire de chaussures qui me fait les yeux doux et qui irait telleeeement bien avec cette nouvelle petite robe que je viens d'acheter. Les petits caprices du moment, faudra vraiment les restreindre !

 

La troisième grosse crainte, c'est notre temps privé (à chacun) et notre temps de couple. Mon mari et moi nous sommes mis en couple assez récemment (au regard d'une vie). J'avais 31 ans. Nous avons vécu ensemble 2 ans et demi avant de se décider à faire un enfant, et nous avons eu notre fille alors que je venais de fêter mes 35 ans. Aujourd'hui, j'en ai 37 et demi.  Nous sommes assez proches lui et moi et partageons beaucoup de loisirs communs. A l'instar d'autres couples, notre "lune de miel" n'a duré que peu de temps (2 ans et demi) car nous ne voulions pas faire un enfant en étant "trop vieux" (de nouveau, c'est notre choix).
Cependant, notre couple a toujours besoin d'être "entretenu", de favoriser ces moments complices rien qu'à nous deux, ces moments dont on aurait pu pleinement profiter si nous nous étions connus lors de nos 23 ans.
Nous sentons bien tous les deux la nécessité, l'envie et le besoin de ces moments rien qu'à nous deux et aussi de cultiver nos loisirs communs. Déjà avec un enfant, ils sont restreints. La charge du quotidien, le travail, la gestion des congés, les matinées et soirées difficiles nous plombent. Heureusement, nous avons une ressource en or ! Mes parents qui prennent notre fille lors que cela les et nous arrange et que nous avons besoin de souffler. Ils habitent à 1h30 de route de chez nous, alors on privilégie les "longs séjours" (week-end minimum), plutôt que du babysit occasionnel en soirée.

Là encore, je me suis dit que ce serait possible de leur faire accepter de garder deux enfants. Ils le feront de bon cœur, même si c'est fatigant. Sauf que cela ne marchera qu'un temps hélas. En effet, mes parents ont 75 ans et la santé de mon père est stable, mais précaire. S'ils peuvent encore faire des garderies pendant les 5 prochaines années, ce sera vraiment bien, mais soyons réalistes, à 80 ans (s'ils sont encore là tous les deux), ils ne garderont plus deux enfants d'environ 10 et 5 ans… Ou s'ils le font encore, je pourrai m'estimer être une grande veinarde !

Non.. Il y a plus de chance pour que mes parents, d'ici 5 ans, deviennent une charge plutôt qu'une aide (pour l'instant, hors de question d'imaginer les placer en maison de repos ! C'est ma hantise).

Alors j'imagine ma vie dans 5 ans : jongler avec deux enfants que je devrais sans doute laisser souvent à mon mari pour m'occuper de mes parents, les conduire à toutes les activités extra-scolaires, assurer la gestion quotidienne de la maison (on partage certaines tâches et on en allège d'autres comme on peut, mais quand même… Nous n'avons pas un Alfred à la maison qui peut se charger de tout.. D'ailleurs, à quand les IA robots domestiques qui, plutôt que d'écrire ou dessiner à notre place, feraient le ménage, les courses et la lessive?? Non mais sérieusement, on ne se plante pas de route, là avec Chatgpt et Midjourney?).
Le temps sera donc encore plus restreint pour prendre en compte le bonheur de mon mari, de mon couple et le mien qui, soyons honnête, passeront après toutes ces personnes à charge. 
Certes, on pourra occasionnellement laisser notre fille à son parrain et notre deuxième enfant à sa marraine le temps d'une soirée ou d'un court week-end (si les agendas coïncident), mais cela ne sera que vraiment occasionnel.

 

Face à tout cela, la raison me pousse à dire "ne te tire pas une balle dans le pied". D'un autre côté, mon cœur tambourine et insiste pour que je remplisse mon envie d'une plus grande famille, d'une nouvelle grossesse, d'un nouveau pouponnage, de la perspective de voir ma fille jouer la grande sœur, de la responsabiliser, d'avoir ces beaux moments à 4, d'imaginer les fêtes de familles en plus grand nombre.. À 4, puis un jour peut-être à 6, à 7, à 8.. Quant à leur tour ils trouveront peut-être leur moitié et leurs descendants… D'imaginer qu'il seront deux à prendre soin de nous lors de nos vieux, jours, deux à traverser les difficiles étapes de la vie lorsque nous seront vieux et malades.

 

Lorsque j'ai pris la décision d'écouter la raison, j'ai beaucoup pleuré. C'est difficile, car je suis un personne plutôt intuitive, émotive plutôt que raisonnable et sensée.
Je me suis sentie vide, inutile. J'ai peur de croiser des femmes enceintes dans la rue, d'avoir mes prochaines règles qui me rappelleront à quel point ma féminité douloureuse est vaine… Sans oublier cette contraception qui m'horripile mais qui reste, hélas, nécessaire. Du moins le temps qu'on prenne peut-être d'autres mesures (vasectomie).
Je devrais m'estimer heureuse d'avoir déjà pu avoir la chance de connaître une merveilleuse grossesse, un accouchement qui s'est bien déroulé, et d'avoir une petite fille en bonne santé.  Tout le monde n'a pas cette chance.
Je vais devoir entamer ce travail sur moi, ce travail de deuil. Ce travail qu'une partie de moi (celle qui d'ordinaire me pousse et me donne l'énergie d'entreprendre des choses folles et fantastiques) n'a pas envie que je fasse.

 

J'ai lu beaucoup de témoignages d'autres femmes qui ont choisi d'arrêter là leur maternité, et aujourd'hui j'ai écrit le mien, comme pour m'aider à surmonter tout cela, et peut-être, qui sait, aider d'autres femmes à surmonter ce deuil que je suis loin d'être la seule à vivre.

La maternité, cela n'est sûrement pas la seule chose qui nous définit et qui nous tient à cœur dans la vie, même si fermer cette porte est si dur et nous renvoie à notre impuissance et notre mort. D'ici quelques temps, quand la peine sera moins grande, j'espère que je me relèverai et que je trouverai une autre voie… ♥

Merci pour votre forum et pour l'opportunité d'écrire et de partager mon ressenti et mes difficultés.