Existe-t-il beaucoup ou pas du tout de situations comme celles des grossesses tardives, par exemple d'une mère qui se retrouve enceinte en même temps que sa fille ?
Le phénomène des grossesses tardives et de la fille et sa mère qui se retrouvent enceintes en même temps n'est pas nouveau. Jusqu'à l'avant-guerre, les femmes avaient de nombreux enfants, ne disposant pas encore de la contraception.
Le religieux a également accentué cette situation. Les femmes étaient considérées comme impures si elles avaient des relations sexuelles sans objectif de procréer. Cet acte était d'ailleurs répréhensible par la morale et passible de prison. Lorsque la fille ainée était en âge de fonder une famille, il était habituel que la mère ait encore de jeunes enfants, voire soit encore enceinte. Ce processus s'est estompé au fil de la révolution industrielle et notamment à l'arrivée de la contraception en 1967.
Aujourd'hui, les études statistiques montrent que les femmes ont des bébés de plus en plus tardivement. Par exemple, en 2004, 25% des femmes qui ont eu des bébés avaient plus de 35 ans. L'âge moyen des nouvelles mamans primipares (premier bébé) est de 31 ans à ce jour contre 27 ans en 1985.
Dans quels contextes ces situations arrivent elles? Pour quelles raisons et à quelles personnes ?
Il existe un certain jeunisme dans notre société moderne. Les valeurs portées par notre société s'orientent à travers la beauté, la jeunesse éternelle et c'est aussi à travers ce qu'elle véhicule qu'émergent de nouvelles attitudes, de nouvelles façons d'être mère.
Les femmes ont gagné leur autonomie au prix d'efforts importants et entendent bien conserver cette avancée. C'est naturellement qu'elle revient aussi sur le devant de la scène à travers la maternité.
Etre mère, en étant plus âgée, c'est aussi être en mesure de traquer le temps qui passe, d'avoir le fantasme de l'interrompre inconsciemment le temps d'une grossesse, voire de le maitriser pour le faire reculer.Une femme enceinte se sent puissante, elle porte la vie en elle et peut parfois avoir du mal à y renoncer.
Ce nouvel enfant peut aussi venir réparer une blessure, là où elle pense ne pas s'être accomplie par ailleurs, dans le domaine professionnel, affectif, familial...mais ceci intervient finalement à n'importe quel moment de la vie d'une femme qui attend un enfant.
Aujourd'hui être enceinte en même temps que sa fille ou que sa mère est bien plus rare, hormis dans le contexte du religieux. Certaines familles encore très pratiquantes, notamment de confession juive ou musulmane par exemple, peuvent continuer à s'inscrire dans la maternité prolongée, jusqu'à ce que la fille ainée soit elle-même enceinte pour la première fois.
Les grossesses tardives quant à elles deviennent de plus en plus fréquentes et s'inscrivent dans une nouvelle norme sociétale. -plus souvent à l'occasion d'une seconde union, favorisant la consécration du nouveau couple à travers le désir d'enfant et la réactualisation d'une nouvelle famille:
- plus rarement dans le contexte de dénis de grossesse chez les femmes plus âgées se rapprochant de la ménopause et qui conservent en elle le désir d'avoir un dernier enfant sans grande conviction du fait de leur âge.
- mais aussi chez des personnes de classe socioprofessionnelle privilégiée, qui ont pu bâtir une carrière dans un premier temps, souvent avec force et détermination.
Le temps n'était pas celui de la famille et de l'enfant et une fois leur situation professionnelle confortablement installée, ces femmes peuvent se laisser aller au désir d'enfant. Ces cadres supérieures n'ont pas eu le temps de faire des bébés, et c'est souvent un enfant «intellectuel » qui est programmé. Elles choisissent bien souvent le moment au regard de l'agenda. Cet enfant doit être "bien réussi".
Repérons nous des répercutions psychologiques pour elles ou pour leurs proches?
Lorsqu'une mère est enceinte en même temps que sa fille
Chaque femme qui est enceinte pour la première fois se sent unique, et a besoin d'être reconnue ainsi, et plus principalement par sa propre mère. Il est alors probable que si sa mère est enceinte en même temps qu'elle, elle se sente trahie par elle. La fille peut le vivre comme une sorte d'ajournement de sa maternité, comme le sentiment d'avoir été volée dans ce moment si fort.
Elle peut alors avoir l'impression d'avoir perdu cette place privilégiée, d'avoir été empêchée dans sa transmission générationnelle. Elle peut alors se sentir malmenée par l'idée de devoir à jamais conserver son statut de fille au détriment de sa place de mère.
C'est la raison pour laquelle de nombreuses femmes veulent à tout prix « réussir leur accouchement », car elles le vivent comme une sorte de passage de la vie de jeune fille au statut de femme. Certaines femmes peuvent ressentir de la culpabilité en acceptant la péridurale, car leur mère jadis s'en était passée.
Cela peut affaiblir le sentiment d'être une bonne mère, n'ayant pu être à même d'endurer les mêmes souffrances. Elle a alors le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur pour son bébé, mais inconsciemment c'est souvent la question de la rivalité à sa propre mère qui revient sur le devant de la scène psychique.
La fille a lors besoin d'être confirmée dans son statut de jeune maman par sa propre mère, et se sent rassurée, si sa mère trouve que son petit fils ou sa petite fille est beau, que sa fille a été courageuse...
Par ailleurs, lorsque le religieux peut soutenir les familles, cette rencontre générationnelle peut aussi être vécue de façon non rivale, mais plutôt dans le partage et la complicité.
Mère et fille peuvent trouver cette situation rigolote et les rapprocher un peu plus. Entourées par la communauté, ce temps intimiste et privilégié est à la fois porté vers la mère et la fille.
C'est l'enfant qui est célébré, plus encore que la grossesse, ceci permettant peut être alors de dépasser ces conflits de place et générationnels.Tout est question de rencontre entre personnalité, culture, éducation, société et religieux.
Vis-à-vis des grossesses tardives...
La norme évolue et ce qui fait souffrir les hommes, les femmes et les enfants, ce n'est pas tant la situation dans laquelle ils se trouvent mais plutôt la portée du regard qu'en ont les autres.
Se sentir différent, voici ce qui est le plus redouté. La souffrance émane de la différence, du sentiment de non appartenance à un groupe. Or, il est très courant d'avoir des parents plus âgés ou divorcés c'est une question sociétale.Parallèlement, ces femmes oublient qu'elles ne peuvent pas toujours décider de tout et peuvent parfois en être affectées. Car un bébé très désiré n'arrive pas forcément.
La nature fait que, biologiquement, il est plus difficile pour une femme d'avoir un bébé après 40 ans. Les données statistiques médicales peuvent apparaitre pénibles mais le soulignent également.
Les chercheurs ont montré que les femmes de 40 ans qui étaient traitées pour infertilité ont 25% de chance pour concevoir un bébé via ses propres ovules.
Les femmes de 43 ans 'ont plus que 10% de chance contre 1,6% à l'âge de 44 ans. Les femmes de 40 ans qui sont parvenues à concevoir et à porter leur fœtus ont pour 24% d'entre elles fait une fausse couche. Ce pourcentage augmente à 38% pour les femmes de 43 ans et à 54% pour les femmes de 44 ans.
Les femmes de plus de 40 ans présentent davantage de risque que la moyenne de bébé en sous poids voire prématuré. Le décès prénatal du fœtus est également plus fréquent et les risques de développer du diabète chez ces femmes plus élevé.
Ce cortège médical, qui entre dans la boucle de la maternité, peut perturber l'implantation de la grossesse voire l'accueil du bébé. Ces perturbations inhérentes aux grossesses tardives plus encore, concrétisent des angoisses de mort et accentuent l'ambivalence maternelle vis-à-vis du bébé. Lorsque la grossesse est menée à terme, ces femmes peuvent aussi en contre coup surinvestir leur bébé et devenir des mamans très voire trop protectrices et anxieuses. Elles sont souvent inquiètes vis-à-vis de ce bébé qui pleure, qui ne s'apaise pas facilement, qui réclame de l'attention...
Toutefois, lorsque la biologie est plus clémente cette réalisation est porteuse de grands bénéfices tant pour la mère que pour l'enfant. La mère peut aussi se sentir comblée et l'enfant particulièrement choyé et entouré.
Ces femmes, bien épanouies au niveau professionnel, ont alors à cœur de se consacrer à ce bébé et sont souvent en accord avec les décisions qu'elles prennent. Elles disposent bien souvent d'un savoir-faire, elles se sont documentées, elles ont su prendre en compte certains conseils et en laisser d'autres. Cette grossesse est alors vécue comme une véritable cure de jouvence.
Les parents de 40 ans (et plus) sont aujourd'hui davantage concentrés sur leurs enfants que les parents des générations précédentes. Ils ont eu le temps de voyager et de vivre de nombreuses expériences avant de fonder une famille.
Ils ont moins de pression financière et ne sont plus aussi tentés que « les jeunes » à faire la fête ou à travailler trop. Je pense également que vis-à-vis du risque plus accru d'avoir un bébé présentant un handicap, ces femmes sont aussi plus à même de mieux les accueillir.
Peut-il y avoir confusion des rôles au sein de la famille?
La transmission générationnelle tend à s'effriter. Les grands parents sont moins souvent présents pour différentes raisons, éloignement géographique liée à la mobilité des personnes, le jeunisme ambiant (vouloir rester jeune, ne pas être "abimé dans son image") et la volonté de se réaliser à la retraite, ... sont autant de facteurs qui perturbent l'apprentissage des savoirs faires, des us et coutumes.
Lorsque la situation entre une mère et sa fille, enceintes en même temps se joue sur le mode de la rivalité, cela peut faire revivre inconsciemment à la fille un sentiment d'échec.
Cela réactive une certaine forme d'interdit œdipien (petite fille, tu n'as pas le droit d'épouser ton père ni d'avoir des enfants avec lui) et dans le cas d'une grossesse simultanée avec sa mère, sa mère affirme une fois encore sa toute puissance maternelle sur sa fille et l'empêche symboliquement de prendre sa place de femme.
Dans le contexte d'une fille qui hérite d'une belle mère du même âge qu'elle, ou encore d'un fils qui hérite d'un beau-père du même âge que lui, la rivalité s'en trouvera renforcée par le sentiment d'usurpation mettant en avant le sentiment de ne pas avoir été un suffisamment bon enfant à ses yeux.
La mère, quant à elle, choisissant pour conjoint un homme du même âge que son fils décline à travers ce choix son désir de materner plus que celui de retrouver « l'âme sœur ».
Mais, la plupart du temps, les enfants de ces couples atypiques trouvent, à l'âge adulte, ces situations plutôt cocasses et en rient plus qu'ils n'en souffrent. Etre par exemple aussi âgé que sa tante ou son oncle ne perturbe en rien l'identité de chacun dans la famille, si les choses sont expliquées clairement aux enfants.
La compréhension du schéma familial et de l'arbre généalogique s'intègre progressivement au décours de l'évolution de l'enfant. Et cette situation abordée de façon légère devient alors ludique pour tous.
Céline Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, Psychothérapeute, Formatrice.
