Relation père (divorcé) - fille (adulte)

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agrippina
Relation père (divorcé) - fille (adulte)

Mes parents ont divorcé quand j'avais 4 ans. D'un côté, j'ai une mère surprotectrice, de l'autre côté, un père absent. A l'âge de 20 ans, j'ai fait une thérapie pour panser les blessures causées par ce divorce. J'ai écris une longue lettre à mon père pour lui expliquer que je souffrai de nos relations distantes. Mon père a bien réagi et en a profiter pour m'annoncer par lettre aussi qu'il allait se remarier et envisageait d'avoir un autre enfant. A la suite de cela, il a fait quelques efforts bien qu'il ait refusé de passer Noël avec moi quand je lui ai demandé, ce qui m'a quand même blessé. Aujourd'hui, j'ai 27 ans et une demi soeur de 3 ans et demi, j'ai déménagé sur Paris il y a 5 ans. Ces dernières années, je devais supplier mon père pour qu'il accepte de me voir quelques heures deux fois par an quand je rentrais en province. Je le vivais de plus en plus mal mais me taisais pour conserver une bribe de relation avec lui.

Fin décembre, je lui ai annoncé que j'allais me marier et là, le drame a commencé car il ne veut pas mettre plus de quelques centaines d'euros dans le mariage et il ne veut pas (pour une raison obscure) que ma mère (qu'il déteste) et que mes beaux-parents (plutôt aisés) en face plus que lui. Je lui ai expliqué que l'argent n'avait pas d'importance et que je voulais juste de son temps et de son affection car je souffrais de son abscence (il m'a quand même annoncer il y a quelques mois qu'il avait choisis tout seul de ne pas m'élever pour se reconstruire, chose que j'ai encaisser comme un coup de poignard sans rien dire). Lorsque je lui ait enfin fait part de 23 ans de souffrance, Je me suis fais accuser de chantage affectif, de ne pas avoir de valeur parce que je n'étais pas proche de ma demi soeur de 24 ans ma cadette, d'être chiante comme ma mère, de ne pas avoir les pied sur terre et tout un tas d'autres choses car il se considère comme un père divorcé modèle.

Pour lui, je dois prendre la place qui est la mienne dans sa vie, accepter les quelques heures de son temps qu'il me donne deux fois par an en le remerçiant pour la pauvre pension alimentaire qu'il verse tant que je suis encore étudiante (il y est obligé par la loi depuis le divorce).

Ne pouvant plus m'humilier en mendiant son affection, je lui est demandé s'il voulait que je sorte de sa vie. Il n'a pas pu que me répondre "qu'est ce qu'on fait ? On ne se parle plus", ce à quoi j'ai répondu "comme tu veux" et la conversation téléphonique c'est arrêté comme cela.

J'ai voulu croire pendant 25 ans que mon père m'aimait malgré le fait qu'il n'ai jamais passé un noel avec moi, qu'il n'ai jamais voulu de moi pendant les vacances, qu'il ne m'ait jamais encouragé dans aucun de mes projets ni dans mes réussites. J'ai toujours été sage et douce avec lui, je fais un doctorat à la Sorbonne, c'est quand même pas mal pour une fille d'ouvrier, je monte des projets artistiques qui marchent bien.

J'abouti à la conclusion que mon père ne m'aime pas et encore moins maintenant qu'il a une autre fille avec qui il est très affectueux.Il semblerait que je sois pour lui le vestige néfaste d'une vie à oublier.

Je parle beaucoup de ce qui s'est passé avec mon père à mon entourage. Malgré tout, cela fait 15 jours que je suis morose à cause de cela. Comment faire le deuil d'un père encore vivant ?
Merci par avance pour vos réponses.

celine-lemesle
Bonjour Madame,

Votre témoignage est très émouvant et pose la question fondamentale de la filiation. Alors qu'est ce que la filiation ? C'est ce qui a trait aux origines et rend compte du passé. Elle se traduit à la fois par son ascendance (mes parents, mes grands parents...) mais aussi par sa descendance (ses enfants et petits enfants à venir).
Je pense que cela a aussi à voir avec la transformation et l'évolution possible que l'on est en mesure d'apporter à sa propre histoire familiale. Chaque enfant serait comme le dépositaire « d'un mandat » transgénérationnel » inconscient.
Autrement dit, ce qui a fait symptôme par le passé dans sa famille (et qui n'a pu être soigné) se reporte inévitablement sur la descendance, qui prendra, en son temps, le parti de poursuivre cette « mission » pour transformer ce symptôme (sublimer) ou au contraire le reporter à nouveau sur la génération suivante, tant il est lourd à porter et difficile à traiter.

Cet interlude ainsi évoqué, revenons à votre question. Votre récit appelle de nombreuses questions quant à l'investissement de votre père lors de votre naissance et qui semble aujourd'hui se réactiver massivement de part et d'autre (chez vous mais aussi du côté de votre père), consécutivement à deux événements très importants : la naissance de votre demie soeur et plus récemment l'annonce de votre mariage.
Votre père a probablement vécu négativement cette situation de divorce. Dès lors, ce mariage que vous lui annoncez lui fait probablement revivre intensément ces blessures amoureuses passées, même s'il est entendu qu'il s'agit bien de votre mariage et non plus du sien.
Au regard de ce que vous dites, votre père cherche à se réparer, certes très maladroitement, de ce premier amour passé ainsi que de sa descendance. Pour ce faire, il « voile » une part de cette réalité qui s'impose à lui, ce mécanisme de défense s'appelle l'évitement. Plus vous tenterez de le confronter à cette réalité qui l'indispose, moins il sera en mesure de l'affronter, ayant alors le sentiment de perdre tout contrôle sur son existence et ses sentiments.

Vous êtes aussi, malgré vous, l'héritière d'enjeux relationnels qui se sont tissés puis déconstruits au sein du couple parental. Car lorsqu'un divorce a lieu, l'enfant est en situation « de double alliance ». Bien que cela ne soit pas forcément formulé ainsi, l'enfant a le sentiment de devoir répondre à cette question : qui dois-je choisir, qui dois-je préférer de mon père ou de ma mère ? Lorsqu'il va et vient au gré des droits de visite, l'enfant est toujours le témoin de ces conflits dont il est le dépositaire et qu'il se doit de ne pas révéler à l'un ou l'autre de ses parents, bien qu'au coeur des confidences.
Finalement l'enfant risque rapidement de devenir « l'otage de ses parents », quoiqu'il fasse et quoiqu'il pense. Cela qui lui impose parfois de devoir trahir son sentiment de loyauté envers l'un de ses deux parents au profit de l'autre, rupture annonçant en retour un vif sentiment de culpabilité chez l'enfant. Le manque voire l'absence de relation avec votre père étant petite a inévitablement contribué et majoré cette mise à distance entre vous au profit d'une relation plus proximale fille/mère. Votre père a du nécessairement composer avec cet éloignement, c'est à dire renoncer à vivre cette relation avec vous et faire le deuil de cette situation passée, même s'il en a lui-même été le co-auteur.

A travers cette nouvelle relation de couple et de paternité qu'il vit depuis peu, il est probable que votre père tente de se rassurer ainsi au sujet de sa fonction parentale. Cette restauration se voit contrecarrée de par votre rappel et l'écho de sa situation passée, ce qui est des plus légitimes. Il est à ce sujet très important que vous ayez la conviction que vous n'êtes pour rien dans cette affaire, qui ne concerne que vos parents, même si aujourd'hui c'est vous qui en souffrez terriblement et qui portez le poids de cette séparation devenu un symptôme filial.

Alors faire le deuil d'un parent toujours vivant est probablement plus difficile à négocier qu'un deuil fait d'une perte réelle, car il ne ménage pas l'espoir que la situation s'améliore ; ce qui explique aussi ces allers-retours nombreux vers et contre le parent en question.
Parallèlement, le regard de la société est aussi en jeu et complexifie votre situation. Il est peu « admis » moralement de se détourner de son ou ses parents, alors même que cela est parfois salvateur et nécessaire pour retrouver un certain équilibre émotionnel.
Je pense qu'il est surtout très important de mesurer la situation en tentant de répondre authentiquement à cette question : quel type de lien perturbe le moins votre vie et vous assure un certain apaisement ? Car la colère et le désespoir valent tout autant que l'amour et l'attention en matière de relation. C'est une autre façon de rester en lien. Le deuil c'est accepter de garder en soi le bon provenant de la personne défunte (symbolique ou réelle) pour parvenir à réinvestir une autre personne pouvant faire office, dans votre cas, de père spirituel, de maitre à penser, de père de substitution...

Dans tous les cas, il n'est pas nécessaire de répondre hâtivement à cela. Laissez-vous du temps. Certains épisodes de vie se chargent aussi de faire avancer les choses, de les rendre plus lisibles et il semble qu'un bel événement soit en préparation pour vous et votre ami, lequel mérite de mobiliser toute votre attention.

Céline Lemesle, Psychologue