PMA et grossesses des autres, sentiment fort d'injustice

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audrey23
PMA et grossesses des autres, sentiment fort d'injustice

Bonjour,

J'ai 33 ans et un parcours PMA de 5 ans. Nous avons réussi à avoir des jumeaux, malgré cela, je ne supporte toujours pas la vue de femmes enceintes, pire à l'annonce des grossesses de mes amies j'en pleure pendant des jours, je suis en colère...Voir les nourrissons des autres me fait le plus grand mal au coeur.
Nous avons déjà perdu des amis à cause de mon comportement... Je suis sans cesse en train de me comparer aux autres, aux bonheurs et l'insouciance que nous n'avons pas eus.

Heureusement mon mari me soutient car il sait ce par quoi je/nous sommes passés mais il pensais comme moi que ce sentiment s'apaiserait au fur et à mesure du temps cependant nos enfants viennent d'avoir 3 ans et ce sentiment est toujours aussi fort.

Je suis jalouse du bonheur de grossesse/maternité des autres, cela me renvoie à nos échecs et au fait que pour nous rien n'aura été facile (3 opérations pour moi), que nous n'aurons pas été parent naturellement, une sensation forte d'injustice et un vide de maternité jamais comblé même avec des jumeaux.
De plus je suis atteinte d'endométriose à un stade avancé ce qui là encore me donne une sensation d'injustice (maladie "invisible" aux yeux des autres). Je suis sous ménopause artificielle depuis mon accouchement.
J'ai donc vécu 9 mois de grossesse avec des douleurs insupportables liés à cette maladie ce qui n'a fait que renforcer ce sentiment... moi qui attendait cette grossesse avec tellement d'impatience.

De plus le fait d'avoir des jumeaux nous mets encore une fois dans une situation "pas comme les autres" ou nous avons encore une fois l'impression d'être incompris notamment face à nos difficultés du quotidien.

Auriez-vous des conseils/pistes qui pourraient m'aider à dépasser cette situation qui affecte fortement notre vie sociale ?

Pensez vous que ce sentiment perdurera toute ma vie ou s'en ira t'il avec le temps ?

Merci beaucoup!

celine-lemesle
Bonjour madame

Ce fort sentiment d'injustice associé au florilège "d'envie, de colère et de jalousie", face aux parents qui ont des enfants naturellement, est malheureusement très banal et habituel chez les personnes qui doivent recourir à la PMA.

Lorsqu'une épreuve assaille l'être humain, il a besoin de trouver un sens, une explication recevable, un responsable... et s'il ne trouve aucune raison objectivable, les angoisses grandissent et se retournent contre soi même, sous forme de sentiment de culpabilité, de déprime...

Ces sentiments jaloux emprunts de colère et de tristesse (jugés négativement par le collectif) sont alors, et contre toute attente, la seule façon de se protéger efficacement de la douleur et de l'écroulement psychique... Ils stoppent la dépression latente, en quelques sortes.

L'état dépressif, que cette situation hors norme génère, est particulièrement craint, et ce d'autant plus lorsque la femme sous protocole PMA tombe enfin enceinte et que la grossesse est menée à son terme. Pourquoi déprimer alors que le/les enfants sont finalement arrivés ?

Mais c'est justement au moment de la réalisation de ce projet qui tenait tant à coeur depuis des années, que la tension se relâche, et que se mesure le chemin douloureux parcouru: là où la plupart des hommes et des femmes n'ont qu'à se soucier de la "Deco de la chambre du bébé et de l'hôpital pour accoucher", pourriez vous penser...

La question est toutefois plus complexe que cela, car il existe toujours une forme d'ambivalence (j'ai envie et pas envie en même temps) chez les couples et les femmes qui enfantent naturellement.

La différence avec les parcours de PMA c'est que cette ambivalence (sentiments et désirs contradictoires vis à vis du bébé) est vécue comme improbable, impensable, irrecevable, inacceptable, "le désir DOIT être PLEIN", car c'est déjà tellement difficile de tomber enceinte. Si en plus, je m'autorise à éprouver ces sentiments comment pourrais je tomber enceinte? (Cf la pensée magique toute puissante).

Et pourtant c'est à travers ces désirs et pensées paradoxales que circulent et se résolvent les pulsions (positives libidinales et négatives morbides), présentes en chacun d'entre nous. Elles doivent absolument trouver une issue pour maintenir le psychisme à l'équilibre. Il est normal d'avoir des craintes et des doutes concernant son désir de maternité (en dehors de la peur de ne jamais devenir mère), y compris durant un protocole de PMA!

La plupart du temps l'arrivée du bébé sans encombre permet de supporter les quelques pensées négatives, les fantasmes, les cauchemars ..., ces pulsions "négatives" faites de colère d'angoisse, d'envie...également présentes chez les couples qui ont des enfants naturellement.

Mais ces émotions s'apaisent rapidement par le sentiment d'avoir "réussi" à tomber enceinte quand la femme l'a voulu, et lorsque le bébé nait en pleine santé.
Le processus de maternité se déroule positivement, la femme se sent complète, accomplie, elle vient de traverser avec succès "sa troisième adolescence". Elle se sent capable, à égalité avec sa propre mère, qui dans le meilleur des cas l'a également félicitée et validée en tant que telle sans (avec peu) rivalité et avec bienveillance.

Le processus de PMA en dehors des douleurs et du temps infini passé avec le corps Medical, pose un "tiers" entre le couple devenant parent et le futur bébé. L'intimité est à nue et le sentiment d'illégitimé et d'incapacité à son maximum. Toutes ces intrusions corporelles durant le parcours de PMA provoque des trauma psychiques qui sidèrent également et on ne se rend compte que seulement longtemps après. Il est alors difficile d'en vouloir à la Medecine qui a permis malgré tout l'enfantement, alors "les coupables"... Il n'en reste plus beaucoup..

En d'autres termes, si mon corps est défaillant, que la médecine a compensé ce corps, la seule possibilité d'exorciser ma colère ne peut se reporter que sur ceux qui n'auront jamais à connaître tout ceci. Voici l'une des explications probable à votre colère.

Pour en guérir il me semble important de pouvoir exprimer tout ce que vous avez ressenti à l'époque, les craintes, les peurs, les doutes relatifs à la peur de ne jamais enfanter mais aussi d'être devenue mère, comme tout un chacun.

Je vous propose de regarder le plein de cette aventure plutôt que son vide.

Votre expérience aussi difficile soit elle parle également de votre ténacité. .. de vos efforts et de la résilience dont vous avez su faire preuve toutes ces années avec votre mari.

Voici la belle histoire aussi de laquelle seront nés vos enfants. Et en cela cette épreuve pourra être entendable et acceptée de vous.

Bien à vous

Céline Lemesle, Psychologue