Avant la Révolution française
La place du père a notablement perdu de son influence. Cette désacralisation du père est un phénomène ancien. Historiquement, dans la société rurale ancienne la communauté était la base de la survie et la notion d'individualité n'existait pas. Tous les hommes devaient travailler pour faire vivre la famille. La filiation était scellée par le mariage religieux et le père se trouvait investi d'une forte dimension symbolique au sein d'une société très hiérarchisée. Il impose le mariage à ses filles et détermine lui-même les enjeux du mariage. Cette société exigeait donc des règles et des contraintes très strictes notamment vis-à-vis des femmes. Tout doit être mis en œuvre pour maintenir la tradition, la stabilité sociale. L'enfant lui-même quand il survit, acquiert les valeurs transmises par son père et sa mère, qu'il transmettra à son tour à ses propres enfants.
A la période industrielle
La puissance paternelle diminue progressivement avec l'avènement du contrat civil faisant office de document officiel pour le mariage. Cette instance est déconnectée du religieux, le père n'a plus tous les droits sur sa descendance. L'héritage ne peut plus être dirigé par le patriarche à lui seul. Des règles sociales et juridiques s'inscrivent peu à peu pour tous.
Du fait du travail industrialisé, le patriarche a tendance de plus en plus à s'éloigner du foyer et passe moins de temps près de sa famille, ce qui lui retire du pouvoir. C'est notamment sa fonction économique qui devient de plus en plus cruciale et qui l'engage symboliquement dans les représentations familiales : « on dira de lui qu'il fait vivre sa famille, ou bien qu'il boit tout l'argent du ménage... ».
L'épouse reste la encore cantonnée à la maison aux tâches domestiques et à laquelle revient la fonction privilégiée d'élever les enfants. Le champ professionnel éloignant progressivement le père de la sphère privée, ceci renforce de plus en plus le rôle prépondérant donné à la mère face aux enfants, pouvant dès lors induire une sorte d'exaltation de l'amour maternel (fusionnel). L'état, quant à lui, devient de plus en plus présent (accès à l'école, diplôme) et les enfants bénéficient de valeurs républicains, accédant à l'ascension sociale par les diplômes, ils tendent de plus en plus à s'individuer et aspirent à mener une vie plus individuelle et autonome, loin du communautarisme développé initialement.
En 1970, la loi et les mœurs vont vivre des changements notables : l'autorité paternelle devient l'autorité parentale (incluant père et mère), le divorce peut s'officier par consentement mutuel, les femmes obtiennent le droit à la fécondité et à l'égalité professionnelle. La femme devient sujet social et peut garantir ses propres choix. C'est le temps de l'affirmation individuelle. Aussi, les places parentales se voient largement transformées.
De nos jours
Pour le père comme pour la mère le lien à l'enfant se retrouve au centre de la vie familiale. S'il y a eu une responsabilisation très orientée autour des mères vis-à-vis de l'enfant, la place du père apparaît elle aussi comme fondamentale. La parentalité n'est plus seulement une « affaire de femme », fonction paternelle et maternelle s'inscrivent toutes deux dans le cadre de la citoyenneté. Une place privilégiée se profile au creuset des interactions précoces entre le père et le nourrisson ; les études montrent que le bébé interagit tant avec sa mère qu'avec son père et mieux encore : il en distingue très précisément et précocement les fonctions.
En d'autres termes, il différentie très tôt les attitudes et comportements du père et de la mère. Aussi, dans notre société actuelle la paternité est de plus en plus reconnue et valorisée, plaçant également l'homme au cœur des soins et de l'éducation de l'enfant.
Ces profondes modifications comportementales, sociales et psychologiques créent d'ailleurs des déséquilibres importants inter générationnels, dans la mesure où « ces nouveaux parents » ne peuvent que difficilement se référer aux représentations d'antan (de leurs propres parents, qui ont des conceptions archaïques) et du coup réinterrogent leur place et leur rôle au sein de l'éducation de leur enfant. Aussi, « le déclin du père » dans sa place de toute puissance familiale apparaît comme le signe d'une évolution considérable, si rapide (en une ou deux générations seulement) qu'elle nécessite de la créativité. Les parents réinventent leur parentalité. C'est la notion symbolique de l'Idéal du père qui se voit remise en question.
Ces questionnements (vers quel sorte d'idéal puis je aller ?) traduisent parallèlement une certaine insécurité quant à la manière de procéder, ne pouvant pas s'appuyer sur des modèles transmis à la génération précédentes. Les parents peuvent être amenés à questionner leurs propres enfants sur l'éducation qu'ils dispensent : « suis-je un bon parent pour toi ? ». Or, cette situation paradoxale débouche sur une certaine asymétrie dans la relation parent / enfant, les parents recherchant l'approbation et la reconnaissance de leurs enfants dans leur rôle et leurs fonctions parentales.
La difficulté relevée à ce niveau provient essentiellement du fait que pour devenir parent, il est nécessaire de reléguer ses propres parents à un statut de grand parent et non plus de parent. Pour que s'établisse la filiation psychique qui fait entrer son enfant dans sa propre histoire familiale il est nécessaire de retrouver l'enfant qui siège en soi. De même, être parent c'est devoir renégocier sa propre histoire infantile (œdipienne) à travers son propre vécu de petit garçon ou de petite fille, afin que l'enfant (fruit de sa filiation) puisse s'imprégner de cette dimension et plus tard se l'approprier pour finalement s'individuer à son tour. Ainsi, il est toujours laissé la possibilité à la génération suivante de traiter les symptômes dont il est issu et qui n'ont pas encore pu l'être par la génération précédente.
Céline BIDON-LEMESLE
Psychologue Clinicienne, Thérapeute Familiale, Formatrice