Comment faire le deuil du désir de maternité?

La littérature scientifique clinique et psychologique parle beaucoup du deuil périnatal (décès de l'enfant porté), mais bien moins de la question du deuil du désir d'enfant soit pour des raisons médicales, soit pour des raisons plus classiques (situation contextuelle du couple, finances, logement, non désir du conjoint....).            

            Si le deuil du « devenir à nouveau mère » se distingue du deuil de la maternité face à une interruption concrète de grossesse et/ou du décès réel de l'enfant, ils occupent pourtant des places parfois similaires sur la scène symbolique. 

            Ils convoquent tous deux des représentations fantasmatiques chez la mère et le père qui ont attendu cet enfant, lequel ne survivra pas dans la réalité, ne viendra pas ou plus jamais. 

La naissance de l'enfant : une rencontre entre bébé idéal /bébé imaginaire et enfant réel

            L'existence d'un enfant se dessine bien en amont de sa conception, elle nait précocement du désir fantasmatique d'une femme et/ou d'un couple qui pensent à cet enfant « idéal » à venir, au même titre qu'une « famille idéale » à construire. Une étude a récemment montré que si la plupart des femmes primipare (premier enfant) n'ont pas de souhait significatif quant au sexe de leur enfant (un garçon ou une fille en premier, peu importe), il est souhaité majoritairement pour le second qu'il soit de l'autre sexe que le précédent. 

            De même, la plupart des couples privilégient le désir d'avoir deux enfants. Les cliniciens font l'hypothèse que ce désir de configuration, composée d'un garçon et d'une fille, répond en tous points à la constellation œdipienne et privilégie ainsi la survie de l'espèce.  

            D'autres souhaits familiaux moins classiques (avoir un seul enfant, n'avoir que des filles, avoir quatre enfants....) émanent de l'histoire propre de la future mère et père et visent la plupart du temps à « réparer » ce qui a été vécu comme un manque ou une blessure pour soi même. De là, nait progressivement la représentation idéale de chacun, socle de la parentalisation (le devenir parent), laquelle sera d'ailleurs nécessaire à l'investissement de l'enfant à venir par ses parents. 

             Lorsque la femme tombe enceinte, le développement du fœtus en elle et ses manifestations vont se mélanger pour faire éclore progressivement un enfant imaginaire en elle (imaginé dans sa tête). Les questions se bousculent, comment sera-t-il, à qui va-t-il ressembler.... Le temps de l'échographie fait également évoluer ces représentations. Les paroles de l'échographiste influencent, renforcent, inquiètent... les idées de la future mère qui va progressivement tenter de se représenter son enfant réel (on m'a dit à l'échographie qu'il n'arrêtait pas de bouger, c'est un futur cascadeur !). 

            Au moment de l'accouchement et de la naissance du bébé, la mère fait sa connaissance et le « rencontre » plus ou moins rapidement en fonction de son histoire, de la personnalité de ce bébé, de la sienne et de la manière dont s'est passé son accouchement. Cette « période sensible », des premières heures qui suivent l'accouchement, sera propice au temps du proto-regard, ce regard fondateur de parentalisation : processus qui permet progressivement aux devenants parents de « se sentir parent » aux yeux de leur enfant et de la société. Il s'agit de ce moment très intense où l'enfant réel se présente à sa mère, qui le reconnait en tant que tel. 

            La mère prend alors toute la mesure de la condition de ce petit être vulnérable, parfois fragile mais que finalement elle connait sans connaitre véritablement. C'est la confrontation entre l'enfant idéal, puis imaginé et maintenant réel, avec ce qu'il peut renvoyer de gratifiant mais aussi de décevant. Cet enfant si magnifique n'est pas que magnifique : en effet il pleure aussi, met dans l'embarras, a du mal à se calmer dans les bras, renvoie ses parents à leur sentiment d'impuissance.... 

            La question du deuil en maternité renvoie nécessairement à ces modalités et vient bousculer symboliquement le bébé de l'intérieur, celui que l'on a été soi même au regard de ses propres parents mais aussi celui que l'on croit avoir été pour ses parents. Ce « soi-bébé » réapparait massivement pour la mère, à travers la venue de cet enfant. Elle voit en cet enfant une part plus ou moins importante d'elle-même.. Le travail psychique de la grossesse n'est alors que la remise sur le devant de la scène de ces conflits œdipiens. 

Remaniements psychiques de la grossesse :

            Les femmes réagissent différemment face à leur grossesse. Certaines ressentent majoritairement de l'inconfort (nausées, jambes lourdes...) et se focalisent principalement sur ces désagréments plutôt que sur le bébé. Elles se sentent souvent dépossédées de leur corps et perçoivent en cette grossesse des réaménagements corporels difficiles à supporter au même titre que le ralentissement de leur activité sociale et professionnelle. 

            La question du « devenir mère » vient prendre trop de place sur son autonomie et modifie trop à ses yeux la vie qu'elle avait, précédant cette grossesse. Alors qu'elle a dépensé une énergie importante pour s'enquérir de cette indépendance depuis qu'elle est toute petite fille, la voila tout de go replongée dans la même vulnérabilité et le sentiment de dépendance.    Elle doit faire face à son propre miroir, au bébé qu'elle a été soi-même. C'est souvent un sentiment de fragilité psychologique qui se concrétise à travers la douleur et l'inconfort corporel. Ce qu'elle ne peut pas dire avec des mots se traduit dans le corps. Ces femmes préfèrent souvent avoir un enfant que de le porter. Elle se dit que cela reste la condition nécessaire pour avoir un enfant, elle doit en passer par là. Ces femmes attendent patiemment le jour de la délivrance pour pouvoir regarder et accueillir leur enfant dans leur vie. 

            Porter un enfant souligne également d'autres enjeux psychologiques et notamment la réactualisation de conflits œdipiens. Car « si je suis enceinte, c'est que j'ai eu une relation sexuelle avec mon conjoint » et cette réalité remobilise plusieurs sentiments confondus, conscients et inconscients : sentiment de culpabilité (« j'en ai choisi un autre que mon père ») et de honte. Dans la représentation de la petite fille, le Prince Charmant est son papa, la femme s'interroge inconsciemment : « et si j'étais enceinte de mon père ? » Or, l'inceste n'est pas conforme à la loi des hommes et réprouvée par la société. 

            D'autres femmes, à contrario, aiment davantage être enceintes que d'avoir un enfant. C'est avant tout leur condition qui est recherchée inconsciemment et notamment le sentiment d'être « pleine » et de remettre en cause pour un temps l'angoisse de castration, dit d'une autre façon de pouvoir éprouver sur cette période un sentiment euphorisant et gratifiant. La perspective de l'accouchement apparait dès lors comme une ombre au tableau et de nombreuses représentations fortement anxiogènes et provenant régulièrement de mythes enfantins viennent alimenter ce souhait de rester coute que coute enceinte. 

            Aussi, lorsqu'il y a nécessité de devoir renoncer à porter un enfant (deuil de la maternité), ceci renvoie au sentiment de privation et de perte ou en d'autres termes de la « castration de cette toute puissance maternelle ». Rappelons que jusque là, les « hommes en ont » mais pas les femmes (absence de pénis), voilà d'où vient l'angoisse de certains hommes de ne plus en avoir (angoisse de castration selon la théorie psychanalytique) et d'être ainsi relayé à une condition de féminisation ou encore renvoyé à la perte de leur virilité. 

            Finalement, « en avoir » permet dans le même temps de pérenniser la survie de l'espèce. Les femmes quant à elles, doivent se construire sur ce fondement de castration : elles n'en n'ont pas et n'en n'auront jamais.... Toutefois, une seule circonstance dans leur vie fait œuvre d'exception et leur permet d'éprouver un sentiment contraire, de rivaliser avec la fonction masculine, de remettre en cause le fondement de la castration féminine, et de ressentir un sentiment d'équité avec leur propre mère à travers l'expérience de la grossesse. 

            Porter la vie en soi et la conduire jusqu'à la faire naitre à travers l'éprouvante délivrance de l'accouchement revêt un caractère initiatique qui peut redonner confiance en soi, en sa faculté à se dépasser, de dépasser la puissance masculine et devenir à son tour mère au même titre que sa propre mère. Dans ce laps de temps imparti de la grossesse, la puissance tant paternelle que maternelle aux yeux de la mère en devenir s'éclipse au bénéfice de cette nouvelle expérience, de cette naissance de la maternité. 

            Pour exemple, beaucoup de femmes primipares ont d'ailleurs tendance à rêver (cauchemarder) qu'elles attendent un petit animal plutôt qu'un enfant ou bien à se représenter consciemment le fœtus (entre le 3 et 4 mois de grossesse), lorsque ses mouvements in utéro deviennent perceptibles, comme des petits serpents, des petits poissons... symboles phalliques venant prendre la place symbolique du pénis absent chez la femme. 

Que doit-on abandonner et finalement accepter pour réaliser son deuil de la maternité ?

            Le deuil du désir de maternité est parfois plus long et couteux en fonction de l'histoire personnelle. S'il est important de mettre en lumière la relation qu'entretient la devenant mère à son père, cette question du désir d'enfant vient également trouver des résonnances en lien avec la relation de la devenant mère à sa propre mère. Devenir à son tour mère n'est pas suffisant pour se sentir à la hauteur de celle qui nous a nous-mêmes enfantée. Ce passage initiatique de l'accouchement aide à garantir à la nouvelle mère son statut mais c'est la présentation de l'enfant à sa propre mère qui détermine pour toujours, rassure, inquiète, gratifie... quant à sa capacité à pouvoir endosser ce statut à son tour. Si ce parcours n'a pu être validé dans sa totalité par la grand mère maternelle du nouveau né, cette nouvelle maman pourra éprouver un sentiment de malaise, celui ne pas avoir accédé totalement à ce nouveau statut. 

            Dans ce contexte, la devenant mère doit surtout travailler à la dynamique du lien complexe qu'elle a entretenu jusque là avec sa propre mère, ce que la naissance du petit enfant vient faire rejouer. En d'autres termes, ne pas avoir été « l'enfant idéal et désiré » aux yeux de sa propre mère peut être particulièrement éprouvant. Faire peser le sentiment de ne pas avoir droit ou accès à cette parentalisation à son tour peut dès lors se révéler à travers le manque. Et de là, peut naitre aussi le désir de faire d'autres enfants, comme pour conjurer le sort... 

            Certains bébés sont aussi plus gratifiants que d'autres et du fait de la rencontre de deux personnalités (mère/bébé), certains enfants vont aggraver les sentiments d'incompétence chez leur parent, d'autres au contraire seront plus gratifiants et rassurants. C'est Brazelton (pédiatre américain) le premier qui a reconnu en chaque nourrisson un pattern d'attitudes et de comportements dessinant dès le début de la vie les prémices de leur personnalité future. Cette idée permet de mettre en lumière une responsabilité plus commune et partagée au sein des troubles de l'interaction mais également au regard des accordages affectifs sécures et de bonne qualité. Une maman qui n'aura pas eu de contentement suffisant face à sa parentalité peut s'en extraire et mettre plus distance face à son sentiment de culpabilité. Cela peut aussi la conduire à vouloir s'en réparer au travers de nouveaux enfants. 

            Abandonner l'idée d'avoir d'autres enfants ce n'est pas faire uniquement le deuil d'une partie de soi (celle qui est capable, capable de donner la Vie) mais également de soi dans sa complétude. La génération suivante est avancée et la génération ascendante doit progressivement s'éclipser face à sa descendance. Etre parent ce n'est pas seulement donner la vie. Devenir parent c'est aussi reconnaitre que l'on n'est plus uniquement l'enfant de ses parents, le fantasme d'éternité s'effrite de plus en plus. Voilà pourquoi la naissance réactive aussi beaucoup d'angoisses mortifères (de mort), vis-à-vis de l'enfant au premier plan (cet enfant je lui donne la vie mais dans le même temps il sera également amené à mourir à son tour), mais de façon plus inconscience la sienne propre. Cela sonne telle la fin d'un cycle. 

            Dès lors, renoncer à avoir un (autre) enfant, suppose plusieurs deuils simultanés : c'est devoir renoncer à ce statut de parentalisation et recomposer à nouveau avec un sentiment de castration, d'impuissance. C'est aussi définitivement devoir accepter de céder sa place sur cette terre, tout en acceptant de ne jamais trouver « l'enfant idéal » en ses propres enfants. C'est enfin laisser cette image aux Fées et aux contes de l'enfance au profit d'une représentation de la vie plus adulte et mature. 

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Céline Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, Thérapeute Familiale, Formatrice.