Comment expliquer les traumatismes et la Thérapie EMDR aux enfants ?

Expliquer le déroulement des séances ainsi que les processus engagés pour retraiter des traumas durant la thérapie EMDR auprès des adultes est nécessaire à l’établissement d’une bonne alliance thérapeutique préalable et prend du temps.

Mais qu’en est il pour les enfants?

Quelques livres tels que celui de Cécile Meignant fait partie « des pépites » que j’utilise pour aborder le processus EMDR auprès des plus jeunes. Elle y décrit à travers le chien Bouba, tout ce que ce dernier peut vivre et ressentir durant une séance de retraitement d’un souvenir traumatique.

Les enfants ne savent pas toujours comment expliquer ce qu’ils ressentent ni comment en parler. Or, ils ont tout autant besoin que les adultes de comprendre ce qui se joue en eux et de se représenter la thérapie EMDR avant de débuter leur travail psychologique.

Aussi, j’aimerai vous partager quelques analyses métaphoriques que j’établie en lien avec les deux opus du dessin animé « Vice versa », en séance avec les enfants.

Ces supports cinématographiques aident particulièrement les enfants à conscientiser leurs difficultés émotionnelles, à mieux comprendre leurs mécanismes intérieurs, et la façon dont la thérapie EMDR peut les aider.

« Vice Versa » est devenue pour ma part une ressource fantastique et illimitée pour aborder certains thèmes spécifiques comme par exemple la notion de trauma psychique, la crise d’angoisse ainsi que la dissociation émotionnelle.

L’exploration fine de ce monde interne dans vice versa éclaire également sur la façon dont le cerveau peut se consolider et se réparer en lien avec de nombreuses ressources tout comme la thérapie EMDR.

Cet article a enfin pour visée de vous transmettre quelques outils et nouvelles idées, à vous parents et professionnels de la santé, pour mieux en discuter et y familiariser les enfants.

 

Direction le Quartier Général (QG) des émotions

 

À quoi sert le quartier général?

 

Nous avons tous un centre de contrôle des émotions, celui de Riley, l’héroïne du dessin animé, est occupé par cinq émotions principales : Joie, Tristesse, Colère, Peur, Dégoût, lorsqu’elle est petite, puis s’enrichit à l’adolescence de l’envie, l’ennui, la honte et l’anxiété.

Ce quartier général des émotions est telle une table de mixage qui permet de gérer ses souvenirs, ses réactions, ses choix, et ses comportements.

Ce quartier général des émotions agit comme un chef d’orchestre qui guide, telle une boussole, la vie de la personne à travers sa mémoire et ses prises de décision.

 

Que se passe t il si le QG dysfonctionne ?

 

Lorsqu’enfant, Joie et Tristesse sont « éjectées » du quartier général, Riley devient incapable d’accéder à ses émotions les plus profondes. Elle est bloquée dans un état où seules Peur, Dégoût et Colère dirigent son QG.

Puis lorsqu’adolescente Riley se montre impulsive envers ses coéquipiers pour gagner sa partie de hockey et qu’elle prend un carton rouge pour mauvais comportement, toutes ses émotions se mélangent, elle devient confuse et l’anxiété prend le dessus sur toutes les autres émotions qui se voient de nouveau éjectées du quartier général. Cela s’appelle la crise d’angoisse.

En effet, si le QG est envahi, abandonné ou désorganisé, Riley perd le contrôle de ses émotions et de ses décisions. Elle ne parvient plus à réguler ses émotions et ses pensées. Sa boussole tombe en panne et Riley ne parvient plus à diriger correctement sa vie.

Par exemple, dès que Joie n’est plus aux commandes du quartier général, anxiété s’en empare.

C’est alors que les croyances négatives de Riley sur elle-même viennent se superposer, voire écraser, ses croyances positives, au risque parfois de modifier profondément ses valeurs et de voir s’effondrer ses îles de l’identité*.

 

Que se passe t il si le QG tombe en panne ?

 

Dans certaines situations plus dangereuses, lorsque la survie est menacée, en cas d’expériences très douloureuses ou de traumatisme psychologique, l’hormone du stress, appelée cortisol, envahit rapidement le cerveau et sonne l’alarme au niveau du QG, qui peut être contraint de tout arrêter. L’anxiété prend toute la place aux commandes du QG.

En effet, réfléchir prend du temps, il faut demander l’avis à toutes les émotions pour prendre une décision et agir.

Or, le QG a comme règle fondamentale de stopper toutes les émotions et les sensations en cas de stress trop intense et pour ordre de déclencher le téléguidage automatique !

En quelques secondes, les émotions se mélangent créant un nuage de confusion mentale, empêchant de ressentir et donc de penser. Il devient alors impossible d’accéder à de nouvelles informations provenant des souvenirs ou des éléments du présent.

Lorsqu’anxiété devient ce tourbillon d’angoisse et bloque la table de mixage aux autres émotions, trois options s’offrent alors à Riley : combattre, se figer ou fuir en fonction de la nature du danger.

  • le mode impulsif/agressif avec coupure immédiate de la parole,

  • le mode statue qui ne bouge plus,
  • ou enfin le mode flux énergétique dans le corps pour courir le plus vite possible.

Le QG, lorsqu’il est trop fortement alerté par l’hormone du cortisol, met en quelques sortes sur pause toutes les émotions de la table de mixage pour protéger le système cérébral.

Cela s’appelle la dissociation entre le corps et l’esprit. Riley se met en pause et n’est plus tout à fait là dans le présent. Elle flotte dans sa tête et ne contrôle plus ses pensées, ses envies ni ses actions.

Quand tout s’arrête…

 

C’est le blocage émotionnel

 

Dans le Quartier Général de l’héroïne Riley, le silence règne. Les émotions sont figées derrière une barrière translucide.

Le panneau de contrôle est éteint. Au centre flotte un souvenir sombre, lourd, intouchable. Riley se fige… sans ressentir.

Son cerveau rationnel tente de continuer, mais son cœur et les émotions qui le colore sont restés en arrière, plus rien d’émotionnel et de sensoriel ne sont accessibles. Elle est dirigée par son guidage automatique qui a pris le relais.

Cette barrière translucide retient la boule noire représentant la douleur de Riley, pour éviter que l’héroïne ne s’effondre.

La boule noire restera suspendue dans les airs pour protéger Riley et la mettre à distance de ce stress terrifiant, tandis que la table de mixage, éteinte, attend de pouvoir se rallumer.

 

Comment rallumer le QG en toute sécurité ?

 

À ce stade, vouloir libérer trop rapidement les émotions serait particulièrement perturbant pour l’enfant. Car l’exposition à la douleur de la boule noire pourrait tout déséquilibrer et faire s’effondrer les îles de l’identité*.

Il est alors nécessaire de prendre des précautions en renforçant notamment ses ressources.

Pour cela nous pouvons avec l’enfant et les parents :

  • rechercher et remettre au premier plan psychologique les beaux et bons souvenirs provenant de la bibliothèque mentale de l’enfant, pour l’aider à se rééquilibrer,

  • demander à Bing Bong, l’ami imaginaire de Riley, de nous aider à créer un refuge dans lequel l’enfant se sent en sécurité (lieu sur),

  • construire un espace fermé (le contenant) pour y mettre de côté tout ce qui fait mal (comme la boule noire) et pouvoir lui rouvrir la porte, au moment voulu et en toute sécurité.

  • travailler également à l’aide du livre « Becoming a super-hero » de Miri Bar- Halpern qui permet d’identifier les traumas (la boule noire) et de développer plusieurs techniques de stabilisation / régulation émotionnelle afin de développer un meilleur contrôle de soi.

Toutes ces précautions préalables sont nécessaires à l’enfant qui va débuter un retraitement en EMDR et constituent les outils dont il aura besoin et qu’il pourra utiliser lorsqu’il sera prêt pour affronter de nouveau ses tempêtes émotionnelles.

Dès que les ressources de l’enfant sont solidifiées et bien en place, il est maintenant prêt à ouvrir la boule noire pour débuter son travail intérieur.

 

Comment apaiser puis archiver cette boule noire (trauma) avec les autres souvenirs ?

 

Pour mieux saisir les contours du trauma et sa résolution, il convient tout d’abord de revenir sur les souvenirs fondamentaux qui structurent l’identité de Riley.

 

Les îles de l’identité*

 

Les îles sont des structures flottantes reliées au Quartier Général par des souvenirs “noyaux”. Chaque île représente un aspect central de la personnalité de Riley :

  • Île de la famille
  • Île de l’amitié
  • Île du hockey
  • Île de la bêtise
  • Île de la sincérité

Ces souvenirs noyaux ont une importance exceptionnelle : ils sont liés à des moments émotionnellement marquants et fondateurs dans sa vie et se traduisent par une émotion dominante (joie, tristesse, etc.).

Quand un souvenir noyau est perdu (amnésie), modifié (la couleur noire de la dissociation dans cet exemple) ou détruit (trauma psychique), l’île qu’il alimente s’effondre, symbolisant une perte d’identité ou un changement de valeurs.

Lorsque Riley entre dans sa nouvelle école, elle perd confiance en elle et sa croyance principale devient « je ne vais pas y arriver ».

C’est donc la structure interne de l’enfant qui se voit perturbée par ces expériences et d’autant plus lorsqu’elles s’avèrent traumatiques. Alors comment accéder, traiter et apaiser un trauma?

 

Direction la bibliothèque des souvenirs

 

Il est alors possible de prendre le train de la pensée et de parcourir le monde intérieur à travers les souvenirs de l’enfance, tous répertoriés dans une immense bibliothèque mentale (mémoire épisodique à long terme), pour ré-alimenter l’île de ses ressources et valeurs profondes, elles même toujours inscrites dans ses souvenirs positifs anciens.

Souvenons nous de Joie et Tristesse qui cheminent littéralement à travers la mémoire de Riley, revisitant des expériences passées. Il s’agit de ses réseaux mnésiques que les émotions parcourent, se reliant à d’anciens souvenirs, et s’annexant à des ressources positives, dans le but de rééquilibrer les îles de l’identité de Riley.

De même, l’EMDR guide l’enfant dans ses réseaux mnésiques, permettant la reconnexion, la compréhension, et le remodelage de souvenirs traumatiques figés dans la mémoire.

 

Le train de la pensée

 

L’enfant monte dans le train de la pensée et revisite lui aussi ses souvenirs au sein de sa propre bibliothèque mentale. Il retrouve d’anciens souvenirs qu’il fait ensuite remonter à la surface, en en prenant peu à peu conscience.

Les mouvements (oculaires, tactiles ou auditifs) utilisés durant la thérapie EMDR permettent de faire avancer ce train de la pensée de façon plus fluide et rapide. Comme cela, il devient plus facile pour l’enfant de se reconnecter à de bons souvenirs, à de belles ressources, et restabiliser ainsi son monde intérieur.

Tout comme le voyage de Joie et Tristesse, qui, à travers la bibliothèque des souvenirs, favorise la résilience de Riley, ce train de la pensée, activé par les mouvements bilatéraux en séance de retraitement du souvenir traumatique, favorise l’intégration neuronale et permet une meilleure digestion des émotions qui lui sont rattachées.

De même encore, tout comme la technique d’EMDR, les émotions Joie et Tristesse de Riley ne cherchent pas tant à effacer les souvenirs difficiles, mais plutôt à leur redonner un sens apaisé et acceptable pour l’esprit.

Le but de l’esprit est de fonctionner en harmonie avec tous les souvenirs qu’ils soient bons ou mauvais, car s’ils constituent tous l’histoire d’une personne et façonne son identité.

 

L’archive du cœur

 

Progressivement, pas à pas, souvenir après souvenir, le train de la pensée amène l’enfant à re-modeler ce souvenir difficile.

Dans cette bibliothèque immense et colorée, Tristesse observe les souvenirs de Riley.

Elle prend entre ses mains plusieurs ressources positives et les met en contact avec la boule noire.

Doucement, une lumière « bleue chagrin » fissure là boule noire et traverse l’enfant, qui submergé par ses larmes, accepte alors d’être envahit par la tristesse.

L’enfant n’a plus peur de ses émotions fortes. Il utilise ses ressources et les outils appris précédemment et avec lesquels il s’est exercé préalablement.

C’est ainsi que l’enfant conscient de ses forces, et qui a gagné en maîtrise émotionnelle, accepte plus facilement d’être traversé par ce chagrin inévitable et salvateur. Il est boulversé par ce qu’il est en train de vivre à nouveau mais plus débordé.

Les pages de ce souvenir peuvent maintenant se réécrire, sans être effacées. La tristesse passe et repasse peu à peu à travers la boule sombre.

Les souvenirs qui lui sont rattachés en ressortent enfin, ils deviennent visibles et se mélangent maintenant à la douceur de la lumière dorée des souvenirs protecteurs. Ces souvenirs douloureux ne disparaîtront pas.

En revanche, chaque souvenir finira par retrouver sa place. Tristesse peut maintenant ranger la boule devenue ambrée, guérie, sur une étagère, à côté des autres boules de souvenirs.

Chacun de ces souvenirs fait maintenant partie des archives, de l’histoire passée. La bibliothèque est désormais sereine. L’enfant est apaisé.

Et dans l’air flottent déjà de nouvelles boules colorées, prêtes à écrire l’histoire de demain.

 

En conclusion, Vice-Versa peut être vu comme une véritable allégorie du cerveau de l’enfant en évolution et en restructuration, ou en d’autres termes un excellent miroir de ce que propose l’EMDR :

  • accueillir toutes les émotions,
  • revisiter les souvenirs difficiles,
  • identifier les croyances profondes,
  • et restaurer un équilibre intérieur, reflétant l’intégration émotionnelle recherchée.

 

Le souvenir ne disparaît pas, mais il cesse d’être douloureux ou limitant, et devient une part intégrée de l’histoire personnelle.

Riley comprend qu’elle est complexe, faite de plusieurs émotions parfois contradictoires, mais elles ont toutes leur place et leur raison d’être.

Elle accepte ses doutes, sa tristesse, sa peur, et cela l’apaise. Les conflits sont dépassés. Son identité devient ainsi plus nuancée, plus équilibrée et réaliste.

 

À suivre ….