Les enjeux psychiques face à l'annonce du handicap de l'enfant

L'annonce : un véritable traumatisme

Le traumatisme véhiculé par l’annonce du handicap correspond à la rencontre avec un événement imprévu, imposé, incontrôlable, envahissant, destructeur. Les capacités et les fonctions psychiques individuelles, ainsi que les mécanismes de défenses habituellement recrutés, se voient débordés, mis en défaut, débouchant sur une dé-liaison des ressources émotionnelles, intellectuelles, psychiques et générant une rupture avec le reste du monde, une sidération psychique.
La personne ne peut plus dire ce qui s’est passé, ce qu’elle a vécu et ce qu’il va advenir par la suite, le temps s’arrête. Les affects et les éprouvés concernant cet événement sont disqualifiés et clivés en bon ou mauvais. Il s’agit d’un véritable « corps étranger » qui fait intrusion dans le psychisme, qui n’est dans un premier temps, ni admis, ni reconnu, il est alors dénié.
 
Il n’est pas rare de constater le déni (mécanisme de défense psychologique qui consiste à ne pas percevoir une partie ou la totalité du réel) des parents face au handicap de leur enfant, et ce notamment lorsque précisément cette anomalie intervient au tout début de la vie, pendant la grossesse ou bien quelques temps après l’accouchement. Les troubles s’insinuant au décours du développement, il peut être difficile pour un parent de reconnaître le retard d’acquisition dans les domaines de l’alimentation, de la propreté, de la marche, de la parole, des apprentissages sociaux et intellectuels…. 
 
Le déni se voit également renforcé et d’autant plus actif lorsque le handicap s’insinue au décours de la première grossesse. Il y a une trentaine d’années, les anomalies du développement étaient peu connues et reconnues par notre Société, ce qui n’engageait pas à des diagnostics précoces. Aujourd’hui, il est aussi plus facile d’avoir des informations (accès aux médias et internet). 
 
Au-delà du bouleversement des représentations fantasmatiques parentales (le handicap venant contrarier les projets attribués à l’enfant fantasmatique), la question du regard d’autrui, de la société est également cruciale chez certaines familles. Par exemple, un père d’enfant handicapé se refusait de sortir de chez lui lorsqu’il prenait son fils en week-end au domicile, ne supportant pas d’être regardé dans la rue.   
Rappelons à ce sujet, que notre Société est fondée sur des représentations sociales très fortes en matière de capitalisme, de renforcement positif sur la valeur attribuée à une personne qui se montre performante, dénigrant dès lors ceux qui seraient moins productifs, au détriment du savoir vivre, et de la relation aux autres. 
 
Aussi, le regard des autres peut être limitant, même si celui-ci devient de moins en moins fréquent étant donné l’accès à la connaissance pour tous. Car ce qui est mieux connu, fait moins peur.
 Lorsque l’enfant tant attendu et désiré (fantasmatiquement) comporte « une anomalie » et qu’elle est identifiée par un tiers (professionnel), l’effondrement des parents devient total, c’est l’effroi et la sidération qui prennent le pas, laissant l’individu sans ressource. 
Car, non seulement l’annonce est toujours vécue comme un couperet, comme comportant une valeur définitive, une rupture, une fin ; mais l’annonce d’un handicap suppose un renoncement d’autant plus rapide aux espoirs construits durant les neuf mois de la grossesse, les mois la précédant et ultérieurement.
Ce qui habituellement peut prendre plusieurs mois voire de nombreuses années au décours d’un lent processus psychique d’accommodation face au réel que renvoie l’enfant dans ses conduites, ses attitudes, l’expression de son propre désir face à ses parents… doit nécessairement s’élaborer et être intériorisé en quelques minutes. C’est tout simplement insupportable psychiquement !
 
Ceci engendre nécessairement un traumatisme, dont les familles se voient marquées à jamais, et le plus souvent cette annonce se cristallise à travers des mouvements très agressifs à l’égard de celui qui annonce, le faisant devenir le mauvais objet. Ce corps étranger (annonce traumatique) doit être absolument évacué du psychisme de la personne, il doit être projeté à l’extérieur de soi sur un autre. 

 

La relation au médecin

Durant certains des entretiens que j’ai pu mener en MAS (Maison d’Accueil Spécialisée), il n’était pas rare d’accueillir des représentations très crues de la part des familles. Par exemple, l’une d’elle ne s’était pas cachée de jouir de la mort du médecin qui avait pris en charge leur enfant à l’époque de la découverte du handicap de leur enfant. Une étude a montré à ce sujet que quelle que soit la façon dont un professionnel annonce la nature du handicap, et expose la situation de l’enfant auprès de la famille, le choc émotionnel est le même. 

Les familles expliquent que le médecin a mal fait son travail, qu’il a tourné autour du pot et que cela était insoutenable, ou bien au contraire qu’il n’est pas professionnel de manquer à ce point d’empathie vis-à-vis de la famille en envoyant comme un boulet de canon le diagnostic…

Je vous propose quelques exemples des effets d’annonce d’un diagnostic précis : 
- « je n’ai plus rien entendu de ce que l’on m’expliquait à partir du moment où j’ai compris que trisomique voulait dire mongolien ».
- « Ces mots furent incompréhensibles ».
- « Je n’ai pas pu parler pendant des jours ».
-« on nous a dit : c’est un monstre, qu’est-ce que l’on va dire aux autres ? »
- un père dit à la suite de l’annonce du handicap son désir de supprimer l’enfant et ajoute : mais de toute façon ma fille serait restée dans ma tête ».
 
L’annonce d’un handicap est régulièrement vécue de façon injuste, or l’être humain a besoin de poser un sens sur les choses, les événements et lorsque le sentiment de culpabilité est trop pénible (les parents se sentent toujours responsables de ce qui arrive à leurs enfants, leur fonction parentale) consiste essentiellement à leurs yeux mais aussi d’un point de vue social et juridique à les protéger.  
 
Lorsqu’un handicap survient c’est nécessairement la question de l’éducation, de la surveillance, du savoir-faire qui se voit interpellée. Rappelons à ce sujet que les apports en psychologie dans les années 50 incombant, aux mères d’enfant autistes, une responsabilité dans leur handicap (mère fusionnelle), est venu largement appuyer sur ce sentiment de culpabilité, laissant un goût amer, voire un désir de revanche encore à ce jour très présent dans la représentation des familles d’enfants autistes. 
Ce sentiment devenant trop insupportable (ne pas avoir pu remplir sa fonction parentale et ne pas avoir droit à une seconde chance) il faut trouver un « responsable » et l’agresseur identifié « archaïquement » pour les proches et la famille est celui qui fait l’annonce. 

 

Spécifier le handicap

Par ailleurs, lorsque le handicap est attribué à une genèse de nature génétique, il semble que ceci soit moins vecteur de culpabilité dans la mesure où il s’agit de chimie et non pas d’éducation… Lorsque l’étiologie est identifiée, la connaissance du handicap dont souffre l’enfant est souvent nécessaire pour l’accompagner. Des familles se lancent dans des recherches minutieuses, accédant à un savoir très fins mais souvent peu efficace dans la mesure où la sphère affective prédomine. 
Les professionnels quant à eux se saisissent de ce savoir afin de comprendre au mieux la personne et évaluer l’accompagnement dont il a besoin pour être le plus confortable possible dans sa vie.
 
Lorsque le handicap n’est pas spécifié, cela concourt au renforcement du déni et à l’impossibilité de faire le deuil de l’enfant désiré, ce qui est souvent le cas lorsque l’enfant ne présente qu’un handicap léger et « non étiqueté ». Dans ce contexte, un travail d’acceptation demeure d’autant plus difficile à faire chez les parents et crée dès lors des fixations sur les compétences de l’enfant et son intégration au sein d’une institution ordinaire, malgré les difficultés rencontrées par leur enfant. 
 
C’est pourquoi, même des années voire des décennies après la naissance de l’enfant porteur d’un handicap non spécifié, il est toujours nécessaire de répondre à de nouvelles investigations génétiques et neurophysiologiques lorsque l’enfant peut entrer au sein d’un protocole de recherche. Les maux explicités par une cause spécifiée, un syndrome soulagent les familles assurément.
 

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Céline Lemesle, Psychologue Clinicienne, Thérapeute, Formatrice Paris.