Bébé prématuré : une maternité blessée

Préambule 

         Certains auteurs proclament que tout se joue avant trois ans, d'autres auteurs plus nuancés portent davantage de crédit au développement de l'enfant et témoignent d'un plus grand optimisme en évoquant plusieurs phases structurantes pour le jeune enfant avant l'âge de six ans. Dans tous les cas, un  bébé ne se construit pas indépendamment de son environnement familial et maternel. La plupart des parents très soucieux du devenir de leur enfant s'interrogent, se questionnent, ont peur d'avoir « raté » LE moment important pour leur enfant. 

         Alors qu'en est-il lorsque les premières interactions précoces n'ont pas pu être célébrées dans la joie de la naissance, avec comme ombre au tableau : celle d'un enfant qu'on n'attendait pas à ce moment de la grossesse... car arrivé prématurément avant le terme ? La prématurité de cet enfant vient alors contredire « l'image du gros bébé rose et potelé » qui assure aux parents sa bonne santé et gratifie dans le même temps cette maman qui a su accomplir « ce beau travail ».  

Qu'appelle-t-on un bébé prématuré ?

     Il est très difficile de donner une définition nuancée et exhaustive à ce sujet. Retenons toutefois qu'un bébé prématuré se définit presque de façon mathématique au regard de « l'âge gestationnel ». Il s'agit d'une naissance qui intervient avant 37 semaines d'aménorrhée et ce indépendamment du poids du bébé. Les bébés qui pèsent moins de deux kilos et qui sont nés avant 35 semaines présentent un risque plus important relatif à leur moyen d'adaptation au monde. 

         L'aide médicale constitue dans un premier temps le soutien nécessaire à la vie du bébé, mais elle ne constitue pas le seul paramètre : sa mère aura besoin de ce bébé pour s'éprouver parent de cet enfant et ce bébé aura besoin de sa maman pour affronter ses épreuves somatiques. 

 

Les retentissements psychiques : un sentiment de faute

         Dès lors ces mères, dont l'enfant est arrivé prématurément avant le terme de la grossesse, éprouvent habituellement le sentiment  d'être une « mauvaise mère », n'ayant pas su garder leur enfant en-elle suffisamment longtemps pour lui assurer protection et bien être dans leur ventre. Elles accouchent d'un enfant très fragile et s'inculpent de cette responsabilité. L'enfant nécessite souvent des soins invasifs (soins intensifs, réanimation, respiration artificielle...) et cette situation d'urgence médicale plonge la jeune mère dans l'impossibilité de s'inscrire dans cette union charnelle avec son bébé : « on m'a mutilée », dira une jeune mère. « On m'a volé mon bébé, je la sentais encore, là dans mon ventre, puis on me l'a retirée », dira une autre. 

         C'est comme si la machine, qui maintient en (sur)vie le bébé, venait détrôner la jeune mère de sa fonction protectrice et empêchait dans le même temps ce processus de fusion si important entre la mère et son nouveau-né. Certains auteurs parlent du premier regard (proto-regard), ce premier échange -yeux dans les yeux-, assimilé au « coup de foudre amoureux » et si fondateur de parentalisation pour la jeune mère. Lorsque cette rencontre n'a pas lieu, qu'elle se voit différée dans le temps, ces mamans ont un vécu d'étrangeté vis-à-vis de ce nourrisson, et peinent parfois à se sentir mère. 

         Il est alors essentiel que le corps médical et les accompagnateurs de la naissance aient cette parole encourageante et rassurante à ce sujet, car il est bien entendu que tout ne se joue pas nécessairement à la sortie du ventre maternel, d'autres moments pourront également permettre cette rencontre, parfois quelques jours après et même encore quelques semaines suivants cette naissance.Il est un fait certain : les mamans d'enfant prématuré connaissent toutes un sentiment de culpabilité et de faute vis-à-vis de cette expérience qui peut, dans certains cas, apparaitre comme traumatique. 

         Elles vivent la naissance de leur enfant comme un échec de la maternité, échec de n'avoir pas pu enfanter dans les règles, échec de protection du bébé survivant, échec du nourrissage, échec enfin des soins prodigués au bébé. En dehors de la configuration matérielle (bébé dans une couveuse et assisté par une machine), certaines de ces mamans ne sont pas prêtes à s'occuper de ce bébé perçu comme si petit et fragile. 

         En réalité, c'est probablement de leur propre fragilité dont elles parlent et qui les malmènent au point de ne plus se sentir capable de poser leur regard et d'adresser de la tendresse à cet enfant : « j'ai mis une bonne semaine avant de réaliser qu'elle était à côté de moi dans un incubateur et non dans moi. Encore maintenant j'ai du mal à la toucher, je ne peux pas lui donner son bain »

Quels sont les ressorts de ce sentiment de culpabilité ?

         Ces femmes se sentent blessées dans leur corps, amputées, meurtries au plus profond d'elle-même, émotions alimentées par le sentiment d'être responsable de cet accouchement prématuré. Le doute, les idées s'entrechoquent des plus pragmatiques aux plus symboliques : qu'ai-je fais une heure avant, la veille, il y a une semaine ? Ai-je bien respecté l'alimentation (toxoplasmose...), ai-je bu de l'alcool sans m'en apercevoir ? 

         Finalement, est ce que je voulais vraiment de ce bébé ? Ne m'aurait t-on pas punie vis-à-vis d'un désir qui n'aurait pas été suffisamment franc et authentique, mais qu'ai-je fais pour mériter ça, et pourquoi moi ?En récapitulant ses moindres faits et gestes il est bien entendu toujours possible d'y entrevoir une raison et de s'accuser inutilement d'une potentielle imprudence.

         L'expérience de la périnatalité montre également des incohérences vis-à-vis de cette logique, certains enfants naissent à terme malgré des imprudences avérées tandis que d'autres n'auront pas le même destin vis-à-vis de cette naissance, malgré un grand nombre de précautions prises.Ces mères d'enfant prématuré sont rattrapées par l'angoisse de perdre leur bébé, la peur de ne pas pouvoir s'occuper de lui et le sentiment douloureux d'une grossesse et d'un bébé inachevé. Ces parents se voient alors confrontés à un fœtus et non un bébé, ce qui n'est pas courant. Les qualificatifs qui supportent cette émotion parlent d'eux même : « c'est une crevette, il ressemble à un petit lapin écorché vif... ». Ce bébé en danger, entre la vie et la mort vit dans des conditions particulières, dans un contexte d'aide artificielle : « je ne suis plus enceinte, mais je ne me sent pas encore maman, c'est triste mais je ne l'ai pas encore touché, je ne l'ai pas eu dans mes bras »

         De son côté, la mère se doit de se sentir redevable vis-à-vis des équipes hospitalières qui sauvent son bébé, le maintiennent en vie. Mais dans le même temps, un profond malaise peut l'envahir, celui de cette frustration d'avoir été privée de la gratification de cette naissance. Personne ne vient la féliciter, elle se retrouve parfois seule à la maternité, de longues semaines durant, seule derrière une vitre de couveuse. Lorsque des visites se font, c'est souvent dans la gêne, parfois sans cadeau puisque le bébé n'est pas aux côtés de la mère. Cette maman se retrouve seule, le ventre est vide alors qu'elle devait être encore enceinte durant plusieurs semaines. 

         Elle doit alors faire face au deuil du ventre qui n'a pas joué son rôle jusqu'au bout et qui lui laisse un gout amer d'inachevé. La perte ressentie par cette mère laisse un vide de l'intérieur mais augure d'une profonde souffrance à l'extérieur. Lorsque ces bébés sont sauvés très précocement, parfois pesant moins d'un kilo, le chemin est encore long à parcourir pour qu'il se suffise à lui seul en lien avec sa mère. Les services de néonatalogie ont pour objectif constant de maintenir en vie ce bébé dans les meilleures conditions possibles mais quelle place peut alors être réellement accordée à la dyade mère/bébé ? 

 La relation parents/soignants: une alliance à construire face à l'adversité

         Généralement, dans les services de néonatologie, la mère et son bébé ne sont plus séparés. Certaines unité « kangourou » ont pour prérequis, lorsque c'est compatible avec la santé du bébé, d'encourager le contact peau à peau en complément voire en substitution de la couveuse, faisant le pari d'un enveloppement charnel prolongeant symboliquement la vie intra-utérine ex-utéro et favorisant ainsi le bien être de cette dyade mère/bébé.Toutefois, savoir être attentif au bébé, c'est aussi permettre aux parents de conserver certaines de leurs ressources affectives et psychologiques, de leur laisser le temps de reprendre leur souffle face à cette souffrance du bébé. 

         Cela s'engage  et s'entend à demi-mot à travers le langage des parents, ce qui n'est pas toujours aisé pour le personnel soignant parfois peu formé et seul face à ces situations particulières et hautement anxiogènes. Alors comment ne pas céder à la tentation de penser que ces parents n'ont pas la réaction attendue, qu'ils s'acharnent au détriment du bébé, ce bébé qui convoque en chacun de nous ce qu'il y a de plus intime et archaïque en soi. 

         Evoquant une situation de souffrance néonatale précédant le décès imminent d'un bébé, une soignante me dit : « Je n'ai pas supporté que sa mère le regarde alors qu'il gémissait. C'était atroce, j'étais toute seule ce jour-là. Les parents voulaient faire des photos, ça n'en finissait plus. Et puis le médecin est arrivé et a emmené le bébé... ». Parfois, déstabilisées par l'identification à ce bébé, l'insupportable peut gagner les équipes et ne plus leur permettre de se situer dans l'accompagnement. Des mécanismes de défense se rigidifient pour se protéger de l'insurmontable. Il est attendu que les soignants puissent également être soutenus dans le cas d'épreuves aussi douloureuses et couteuses psychiquement. Là où la politique de santé se réduit comme « peau de chagrin », le système trois D et la solitude envahissent nos établissements. 

         Dès lors, la parole d'un professionnel soignant trop rapide, mal évaluée, à un moment d'urgence, peut suffire à dévaster ce lien déjà si fébrile et précaire entre les parents et leur bébé. Le temps de la naissance ordinaire est déjà un temps propice « sensible »durant lequel le climat émotionnel de la jeune accouchée est particulier. Ce moment sera d'autant plus paroxystique lorsque l'accouchement ne se passe pas de façon ordinaire et que maman et bébé se trouvent dans une situation d'urgence médicale. 

         Les repères sont troublés, biaisés, le temps s'est comme arrêté, tout va trop vite, c'est un sentiment d'irréalité qui plane et parasite les capacités de réflexion et de prise de recul. La mère n'entend à plus ce qui lui est dit, le stress favorisant grandement la « surdité intellectuelle ».Les équipes soignantes prises par l'urgence n'ont pas la possibilité de donner les informations attendues par la famille, de plus il est bien souvent difficile de faire un pronostic immédiat sur la vie d'un enfant grandement prématuré. Ce silence, perçu comme insupportable, place les parents dans le sentiment d'abandon, d'impuissance et se sentent disqualifiés dans leur fonction parentale.  

         Il est alors essentiel de mesurer au sein des équipes de néonatalogie l'effet de ce qui est énoncé sur la perception subjective de ces parents, sous haute tension psychologique. L'inscription symbolique à la réédition de l'histoire de cette venue au monde, libèrera un souvenir plus contrasté, voire moins traumatique. Ce bébé, quant à lui, pourra dès lors être considéré comme n'étant pas le seul gageur d'une pathologie, le réduisant à un statut unique de prématuré, ceci lui offrant dès lors une place de «mieux être », dont il a besoin pour poursuivre ce chemin encore jonché d'épreuves. 

L'indispensable soutien des équipes

 Ces enfants ne survivent pas sans le soutien médical, mais pas plus en l'absence de l'amour et de la force maternelle.  Ces mamans apprécient le « holding » des équipes, cet enveloppement maternel psychique des soignants qui, parce qu'ils reconnaissent la souffrance de cette mère qui ne peut assurer pleinement sa fonction, vont pouvoir en amont la contenir et la materner. C'est à partir de la consolidation de l'enveloppe affective, entendons par là, la réassurance face à un sentiment de très grande fragilité émotionnelle, que la maman pourra à son tour faire œuvre de holding envers son bébé. 

         Si les équipes soignants se montrent souvent très vigilantes au regard des habiletés silencieuses de ce bébé, encore éprouvé par cette grossesse inachevée, elles ne portent pas toujours  attention à une autre dimension : ces bébés prématurés ne possèdent pas les mêmes attributs physiques que les autres et présentent souvent un aspect curieux, laissant place aux fantasmes « monstrueux » des parents. Ces bébés possèdent un modelage de la tête un peu étroit, un front bombé, des yeux plutôt saillants, une grosse tête disproportionnée par rapport au reste du corps menu, des oreilles non totalement formées au niveau du rebord externe...  

         Ces particularités déplaisantes visuellement peuvent aggraver la perturbation du lien d'attachement entre la mère et son bébé, aussi il est essentiel de rassurer habilement les femmes au sujet de l'évolution de ces stigmates de la prématurité, d'autant que ces mères honteuses et culpabilisées n'osent pas vraiment parler spontanément de ces inquiétudes.

         De la même façon, il est important que les équipes mesurent la dimension symbolique que représente le moment où la mère va tirer son lait. C'est le moment où la mère pense d'autant plus à ce bébé qui n'est pas présent, qu'elle ne peut pas allaiter directement. La tireuse de lait vient ici faire office de bébé symbolique substitutif au bébé réel. Dès lors, la maman peut se sentir encouragée et renforcée vis-à-vis de ce nourrissage même à distance pour son bébé. Plus la maman pourra assurer ces soins et se rapprocher rapidement de son bébé, plus vite cette rencontre entre ces deux la pourra se faire et le retour à la maison ne s'en trouvera que plus facilité. 

         La maman a besoin d'être en lien avec les équipes, de participer aux conversations, d'être au cœur des nouvelles qui affectent son bébé, qui le rend plus solide jour après jour, afin de se faire siennes cette validation et conviction qu'elle est la mère de cet enfant, qui a son tour pourra la reconnaitre comme étant sa mère. L'hôpital se doit de devenir ce lieu de tendresse nécessaire à l'établissement des liens affectifs qui unissent progressivement l'enfant à ses parents.

De retour à la maison...

         Une fois les repères du lieu de vie retrouvés, les soins peuvent parfois être périlleux à mettre en place, les parents sont encore incertains et gagnés par la peur de l'effondrement somatique chez leur bébé. Il est alors possible d'observer des signes d'épuisement parental. La guidance parentale au domicile est dès lors primordiale et permet progressivement aux nouveaux parents de se sentir rassurés dans leurs soins. Des difficultés alimentaires, de sommeil peuvent exister encore quelques semaines. Mais bien souvent, dès que le bébé est lui-même en mesure de rassurer ses parents en manifestant des regards complices, ces perturbations cèdent au profit d'une relation de grande qualité.

      C'est également dans cette dernière phase que s'insinuent d'autres fantasmes pouvant faire état en toile de fond du vécu traumatique de ces mères : « j'avais l'impression de voler mon enfant », ou encore « gardez-le ! ». Pourquoi de telles réactions ? Ces mères sont souvent épuisées et c'est dans ce soulagement-relâchement que les défenses psychiques cèdent également. 

           S'il a fallu sauver physiquement cet enfant, il est important de garder à l'esprit que ces mères souffrent dans leur chair et dans leur tête. Elles ont été blessées par cette maternité ajournée. Cette angoisse, ce désarroi est important à accueillir, ces mères doivent pouvoir s'exprimer à ce sujet dans un contexte de bienveillance. Elles ont ce besoin immense d'être maternées à leur tour pour laisser à l'histoire ce passage transitoire de leur vie et s'inscrire de façon optimiste dans l'avenir.

 

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Céline Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, Thérapeute Familiale, Formatrice